Secrets d’indifférence, épisode 2 | Comment noyer le poisson ?
C’est la chronique d’une catastrophe annoncée que je vous fais aujourd’hui. Secrets d’indifférence est une série consacrée à la découverte de ces sujets pour lesquels notre absence d’attention et notre inertie conduisent à une catastrophe annoncée et en marche.
Aujourd’hui, je vous invite à vous interroger sur le déclin inéluctable des populations de poissons. En effet, si vous ne le saviez pas, 35,4% des populations, et non 35,4% des stocks de poissons, je reviendrai sur la différence sémantique, sont pêchés et surexploités, c’est-à-dire exploités à un niveau biologiquement non-durable, et 7,2% sont sous-exploités. La différence représentant, pour la FAO, les stocks exploités au niveau maximal durable, c’est-à-dire 57,3%. Cette dernière catégorie est en polémique puisque si elle est exploitée, elle ne contribue en rien à la restauration des populations de poissons, perdues notamment par la disparition des grands reproducteurs. Globalement, 9 poissons sur 10 sont prélevés pour nos assiettes.
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L’océan vide par notre indifférence
On vide l’océan de ces poissons, et pas à la petite cuillère. Cela fait un peu plus de 60 ans que la pêche industrielle, avec des moyens de plus en plus importants, ratisse les océans, prélevant plus que l’océan ne peut donner. Pire, depuis la fin des années 90, le pic d’extraction de poissons a atteint sa limite maximale en tonnage, malgré toutes les stratégies utilisées. 90 millions de tonnes, chiffre indépassable en tonnage, mais qui condamnent chaque année depuis 30 ans, par ce même tonnage de pêche, des poissons de plus en plus petits, donc moins reproducteurs, entraînant leur disparition. Pourquoi en est-on arrivé là ? Ce n’est pas tant l’appétit financier des industriels de la pêche, qui est seulement en cause, car la dégradation de la biomasse marine est documentée et connue depuis des années. Ce n’est pas même notre appétit déraisonnable des produits de la mer, non, c’est bien plus insidieux et individuel. C’est notre indifférence aux vivants, aux mondes sous-marins, aux espèces différentes de la nôtre. Nous y sommes insensibles, car loin des yeux, c’est loin du cœur. Car en dehors de la poignée d’individus, quelques pourcents de la population mondiale, qui a mis la tête sous l’eau ? Qui s’est intéressé à ce qui se passe sous la surface de la mer, aux espèces vivantes, qui sont différentes de la nôtre, avec des formes de vie marine, pour le coup vraiment extraterrestres ?
Un appétit d’exploitation
Si des populations de poissons disparaissent, je pense ici à l’effondrement de la morue au large de Terre-Neuve, à la sardine sur les côtes de Namibie, c’est que ce problème semble loin et pas en relation avec nos vies quotidiennes, comme si nous ne pouvions être affectés par des changements dans notre système, l’écosystème, le seul auquel nous appartenons tous, dans une interdépendance complexe tissée par les liens du vivant. Que dire encore de cet appétit d’exploitation, d’extraction, de tout ce qui peut être exploité, dans une course à la collecte systématique de ce que l’océan nous offre, sans réflexion sur les conséquences à terme de ces massacres perpétrés sous couvert de rendements, de capitalisation. L’absence de conscience de l’absolue richesse, que nous devons de préserver et de transmettre, induit des pratiques de cohabitation avec le vivant qui sont destructrices et injustifiables.
Un vocabulaire qui en dit long
Qu’il est difficile de laisser une place aux vivants à nos côtés. Notre vocabulaire lui-même illustre ce détachement. Nous parlons de stock de poissons, de production de pêche, oubliant que la pêche est une collecte et non une production, que le vivant est beaucoup plus qu’un stock auquel nous appliquons une logique comptable chiffrée. La seule indifférence que nous devrions appliquer est celle de la coexistence en paix. Foutre la paix aux océans est la seule solution. Ne plus pratiquer d’extraction en mer, que ce soit pêche, extraction minière, destruction d’habitats, refuges et abris marins indispensables à plus de 250 000 espèces, le tout au bénéfice d’une seule espèce, la nôtre.
Une solution, les vrais aires marines protégées
Notre conscience de cette situation nous donne une responsabilité. L’ignorer nous rend coupables. Coupables, d’indifférence aux autres, qu’ils soient d’une autre espèce, voire de la nôtre. Coupables aujourd’hui, mais aussi pour le vivant de demain. Et si on foutait la paix au monde sous-marin en décrétant de vrais aires marines protégées, exemptes d’extraction pour au moins 30% des surfaces ? C’est à cette condition seule que nous pourrons revenir à un océan riche, celui que l’on a connu, celui que l’on pourra transmettre. Et pourquoi pas alors y pêcher, avec mesure, sans grignoter, cette biomasse, cette biodiversité marine qui nous est si indispensable, sans même que nous le sachions.