2 nouvelles zones ISRA identifiées à La Réunion

Un protocole basé sur deux sources d’observations

Ce travail de recherche, intitulé Important Sharks & Rays Area (ISRA), a pour vocation de mieux comprendre les habitudes des élasmobranches, d’identifier plus précisément les lieux fréquentés par ces espèces, pour in fine mieux les protéger. Vous trouverez ici un article détaillé sur les zones ISRA.

Le protocole à La Réunion s’est appuyé :

• D’une part sur des données déclaratives de pêches récupérées entre janvier 2016 et décembre 2021 sur quatre groupes privés Facebook de pêcheurs récréatifs locaux présentant un nombre important d’adhérents (de 3 300 à 19 700 membres). Les publications de ces groupes ont été examinées quotidiennement afin de recueillir toutes les informations relatives aux captures de requins et de raies (Jaquemet et al. 2023).
• D’autre part sur des récepteurs acoustiques disposés à intervalles réguliers le long de la côte entre Saint-Gilles et Saint-Paul pour la première section (Côte Nord-Ouest de l’île), puis entre L’Etang-Salé et Saint-Pierre (côte Sud-Ouest) pour la seconde, permettant de mesurer la fréquentation des différents sites par les requins et raies.

Voici ci-dessous une synthèse des principales observations enregistrées sur ces deux zones.

Critère A – Vulnérabilité ; sous-critère C1 – Zones de reproduction; sous-critère C5 – Agrégats non définis (voir les explications dans cet article)

Deux espèces considérées comme menacées d’extinction selon la Liste rouge de l’UICN et des espèces menacées sont régulièrement présentes dans la zone.

Il s’agit du requin-marteau halicorne, en danger critique d’extinction (Rigby et al. 2019 ) et du requin bouledogue, classé vulnérable (Rigby et al. 2021).

Requin-marteau halicorne :

Les résultats de cette enquête ont montré qu’entre 2015 et 2023, des requins-marteaux halicorne nouveau-nés et des jeunes de l’année ont été capturés, représentant 17,8% de toutes les captures rapportées dans 15 localités autour de l’île de la Réunion (Jaquemet et al. 2023 ). Un total de 32 requins-marteaux halicorne mesurant moins de 100 cm de longueur totale a été rapporté comme ayant été capturé par ces groupes.

Ainsi, ces éléments suggèrent la présence de zones de nurserie où les femelles matures peuvent revenir pour mettre bas (Tillett et al. 2012 ).

Requin bouledogue :

Il semblerait que la zone soit également importante pour la reproduction d’une autre espèce, le requin bouledogue, espèce connue pour évoluer dans les eaux côtières, à proximité ou dans les estuaires, où la turbidité est élevée et l’eau peu profonde (Heupel & Simpfendorfer 2011).

Le cycle de reproduction des requins bouledogues à l’île de La Réunion a été décrit selon un calendrier précis :

• la période d’accouplement se déroulant de la mi-août à la mi-octobre,
• la période de fécondation de la mi-octobre à la mi-décembre,
• la période de mise bas s’étalant de la mi-septembre à la mi-novembre (Pirog et al. 2019 ).

Dix requins bouledogues mesurant moins de 100 cm ont été rapportés capturés dans cette zone par des pêcheurs récréatifs entre janvier 2016 et décembre 2021 (Jacquemet et al. 2023).

Ainsi, la présence de stades de vie précoces dans ces eaux côtières à partir de décembre corrobore le fait que les requins bouledogues mettent bas en particulier sur cette zone identifiée.

Critère A – Vulnérabilité ; sous-critère C5 – Agrégats non définis (voir les explications dans cet article) 

Sur cette zone, la structuration géographique de la population de requins indique que les requins plus âgés et plus jeunes utilisent des habitats différents et que leurs espaces de vie se chevauchent rarement, un schéma commun observé chez de nombreuses espèces de requins (Speed et al. 2010).

Requin bouledogue :

Plus important encore, dans cette zone, le deuxième plus grand nombre de co-occurrences (présences simultanées) femelle/femelle et des co-occurrences occasionnelles mâle/femelle ont été enregistrées parmi tout le réseau de récepteurs (J. Mourier, données inédites 2021). Ces co-occurrences se sont produites principalement d’avril à juillet et indiquent que des agrégations de requins bouledogues sont présentes dans cette zone, leur fonction est actuellement inconnue.

Autre constat, à l’île de La Réunion, les plus gros requins préfèrent Saint-Gilles à Saint-Paul. Cela pourrait être dû à la présence de ressources alimentaires abondantes ou à une préférence pour les fonds sableux sur un plateau de 50 m de profondeur entre Saint-Gilles et Saint- Paul (IRD 2015). Alternativement, cette zone pourrait représenter une zone de repos en raison de conditions de courant optimales (Soria et al. 2019 ).

Par ailleurs, la détection de ces plus grands individus a augmenté pendant l’automne et l’hiver (Blaison et al. 2015 ; IRD 2015 ; Soria et al. 2019 ), ce qui pourrait aussi éventuellement être le résultat d’une activité d’accouplement accrue. Il a ainsi été suggéré qu’une agrégation pré-accouplement pourrait se produire dans la zone à partir d’avril (Soria et al. 2019).

La dynamique observée dans les schémas de déplacement pourrait également être motivée par la mise bas, les requins bouledogues femelles utilisant certaines zones comme aires de mise bas et de nurserie à partir d’octobre-novembre (Pirog et al. 2019). Malgré leur capacité à parcourir de longues distances, plusieurs études ont mis en évidence la fidélité au site et la tendance à instinctivement revenir à l’endroit où ils sont nés, pour se reproduire dans les populations de requins bouledogues à travers le monde (Brunnschweiler & Baensch 2011 ; Karl et al. 2011 ; Tillett et al. 2012).

Requin tigre :

De décembre 2011 à septembre 2014, 55 requins tigres (taille moyenne 277 cm ; gamme 111- 397 cm ; sex-ratio mâle:femelle  0,9:1,0) ont été suivis par télémétrie acoustique le long de la côte Ouest de l’île de La Réunion (IRD 2015; J Mourier données inédites 2021).

Le plus grand nombre de détections (>10 000 détections) et le plus grand nombre d’heures cumulées passées (>400 h) à proximité d’un récepteur ont été réalisés dans la zone, en particulier au niveau du récepteur situé près du bord du plateau. Dix-sept individus ont été détectés au total sur ce récepteur, et dans de nombreux cas, des individus ont été détectés en même temps sur ce même récepteur (jusqu’à sept individus détectés simultanément ; J Mourier données inédites 2023).

Ainsi, des agrégations non définies de requins tigres sont également présentes dans cette zone, leur origine n’étant actuellement pas connue.

Raies :

Les raies aigles tachetées sont récurrentes tout au long de l’année dans la zone et ont été enregistrées dans un total de 34 observations, formant des agrégations de 2 à 10 individus.

Les raies aigles communes ont été observées 14 fois dans la zone, chaque année de septembre à avril, formant des agrégations de 2 à 20 individus.

Les raies-fouet roses ont également été observées de manière récurrente ( 25 observations), de novembre à avril, formant des agrégations de 2 à 40 individus.

La raie pastenague à taches noires a été observée 16 fois, chaque année, de janvier à août, formant des agrégations de 2 à 14 individus.

La présence permanente de ces espèces de raies, toutes classées “vulnérables” sur la liste rouge de l’UICN, atteste de l’enjeu important de préservation su cette zone. 

Quelles conclusions et quels impératifs de protection ?

Au regard des observations effectuées, il apparait que plusieurs espèces de requins semblent dérouler une grande partie de leur processus de reproduction sur ces deux zones (requin-marteau halicorne et requin bouledogue pour la zone Etang-Salé à Saint-Pierre, requin bouledogue pour la zone Saint-Gilles à Saint-Paul).

Concernant le requin tigre, des agrégations d’individus sont constatées, en particulier en bord de plateau. Ces regroupements ne sont pas encore expliqués, et devront être mieux compris mais jouent très certainement un rôle important dans l’écologie de l’espèce. 

Quant aux raies, de nombreuses espèces classées “vulnérables” par l’UICN sont identifiées sur zone, mettant en avant l’importance de préserver ces espaces pour le maintien et le renforcement des populations. 

Longitude 181 espère ainsi que le classement ISRA de ces deux zones, qui couvrent sans surprise l’intégralité de la Réserve Marine de La Réunion (de Saint-Paul à l’Etang-Salé) et s’étendent même jusqu’à Saint-Pierre, puisse être déterminant dans la politique de gestion du risque requin sur l’île de La Réunion. 

C’est dans ce cadre que le 13 février dernier, les associations Longitude 181, Sea Sheperd France, Le Taille-Vent et VAGUES ont saisi à nouveau le juge des référés du tribunal administratif d’une demande de suspension des prélèvements de requins, qui s’opèrent précisément dans les ISRA. La décision devrait intervenir début mars.

En savoir plus sur les ISRA de La Réunion :

• Site ISRA : Zone Etang-Salé > Saint-Pierre
• Site ISRA : Zone Saint-Gilles > Saint-Paul