Longitude 181 demande l’adoption par la France des définitions de l’UICN pour les aires marines protégées

par | 3 Déc 2022 | les prises de positions, News

Après plusieurs années de tergiversations, la COP15 sur la biodiversité (décembre 2022) devrait voir l’adoption de la mise en place de 30% d’aires marines protégées d’ici 2030 avec, en point de mire, 10% en protection haute ou intégrale selon les standards internationaux. Un enjeu des plus importants à l’heure où les populations de poisson sont surexploitées, où les extractions en tout genre (sable, pétrole, gaz, nodules polymétalliques) ainsi que le bétonnage des côtes détruisent les habitats d’une biodiversité marine mal en point.

La France se doit d’adopter les définitions internationales standards pour les aires marines protégées.

Biodiversité des hommes et des moyens - Aires marines UICN

De quoi parle-ton ?

Selon la définition donnée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une Aire Marine Protégée (AMP) est :

“un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés”.

Classées depuis 2006 en fonction du niveau de protection, les aires marines protégées voient leurs surfaces augmenter, avec des statuts allant de la protection “partielle” à la protection “intégrale”, protection totale qui exclut de ces zones toute activité de pêche, d’extraction minière ou pétrolière, ou toute extraction de sable.

Cette définition est reprise par l’Union européenne, qui associe une protection stricte à la protection intégrale, sans intervention humaine dans ces zones. (1)

La position française ambiguë sur les aires marines protégées

La France affiche une ambition répétée d’être à la pointe de la protection des océans. Organisatrice d’un sommet (One Ocean Summit, en février 2022), candidate à l’organisation de la prochaine conférence des Nations-unies sur les océans en 2025, la France aurait atteint un premier objectif ambitieux :  mettre en place 30% d’aires marines protégées, et s’apprêterait à mettre en place les mesures nécessaires au second objectif qu’elle s’est fixée : 10% de zones marines en protection “forte”. 

Il faut malheureusement nuancer ce résultat et constater la déviation de trajectoire des chiffres actuels et à venir, qui vise une politique du chiffre plutôt qu’une réalité de protection.

Concernant la totalité des aires marines protégées, en protection partielle, le chiffre de 33 % aurait été atteint en 2022.  Mais la répartition des aires marines protégées montre une concentration de ces aires marines en outre-mer, notamment dans les espaces maritimes des terres australes et antarctiques françaises, devenue deuxième plus grande aire marine protégée du monde. Un pourcentage global obtenu sur des régions isolées qui ne concernent en rien les façades maritimes en métropole, et qui autorise néanmoins des activités dommageables pour l’océan.

Protéger les aires marines déjà protégées ?

Pour une action efficace, seules les zones de protection fortes, exemptes d’extraction en tout genre dont la pêche devraient être considérées comme des réalisations exemplaires.

Mais là aussi pour la France, au regard des chiffres, et de la mesure de ceux-ci, on est loin de l’ambition affichée.  Car la France, détenteur du deuxième domaine maritime mondial, s’est dotée d’une classification des aires marines protégées différente des standards internationaux, propre à la France et qui n’est reprise par aucun autre pays, et éloignée de la “protection stricte” défendue par l’Union européenne.

Pour tenir son objectif de 10 %, le gouvernement a publié, le 12 avril 2022, un décret (2) définissant une aire, marine ou terrestre, sous “protection forte”, soit le niveau de protection maximale en France. Ces sites sont définis comme suit :

“une zone dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce de manière pérenne”.

Le terme « fortement limitées » autorise tout forme d’activité sans en préciser les limites réelles, très subjectives. Une porte ouverte aux abus en tout genre.

Le ministère de la Transition assure d’ailleurs que :

“les activités humaines, dont la pêche, ne peuvent être qualifiées a priori d’incompatibles par nature avec la protection de la biodiversité au sein de l’ensemble des AMP. »

alors que les ravages de la pêche industrielle sont visibles et documentées.

La définition adoptée permet de gonfler les chiffres et les résultats, avec pour corollaire que la définition française la plus haute en protection totale correspond à la définition d’une AMP en protection partielle pour l’UICN.

En voici les conséquences en termes de chiffres :

Globalement pour le gouvernement, 33% d’aires marines protégées sur la zone maritime française mondiale, et 4% en zone de protection forte selon le calcul français, mais seulement 1,6% pour le CNRS et CRIOBE Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (1) dans une étude publiée en 2021

  • En méditerranée, la France se targuerait 60 % en aire marine protégée (un chiffre consternant quand on connait la situation de la biodiversité de la Méditerranée), mais seulement 0.1 % en réelle zone de protection forte selon le CRIOBE
  • En mer du Nord, Manche et Atlantique, même constat : 40 % d’aires marines protégées selon mais seulement 0,01% selon le CRIOBE

Le décret pris permet de qualifier ou d’intégrer de nombreuses zones aujourd’hui avec le statut de « AMP à la française » en zone de protection forte à la française.

Et d’atteindre ainsi rapidement l’indicateur de 10 % fixé officiellement !

Quelles solutions ?

Il est indispensable et urgent que la France :

  • Adopte (4) et applique (5) les normes mondiales de l’UICN dans le cadre législatif et administratif afin de pouvoir mesurer objectivement les avancées de la France et de pouvoir les comparer à celles de ses homologues. La commission européenne y est favorable, s’appuyant sur les recommandations de l’UICN (1) -mais rien n’est transcrit en règlement européen –
  • Stoppe les pratiques hautement préjudiciables pour l’environnement marin toujours en vigueur dans les aires marines protégées françaises, telles que la pêche ou les extractions minières de tout type.
Ces mesures doivent permettre de réaliser une protection qualitative, efficace et pérenne des espaces maritimes français.

 

  1. https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-39002-aires-protegees-document-orientation-commission-europeenne.pdf
  2. Décret : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000045551000/
  3. https://www.cnrs.fr/fr/france-des-aires-marines-pas-encore-suffisamment-protegees
  4. https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/PAG-021.pdf
  5. https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/PAG-019-Fr.pdf

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