François SARANO s’exprime dans un entretien donné au site Spheres magazine avec Simon ROSSI et publié le 17 Avril 2020, que nous vous invitons a retrouver en intégralité ici :https://spheresmagazine.com/index.php/2020/04/17/le-confinement-na-pas-dinfluence-majeure-sur-la-vie-sous-marine-entretien-avec-francois-sarano-2/

dont voici quelques extraits :

François Sarano, dans votre livre “Réconcilier les hommes avec la vie sauvage”, paru en janvier 2020, il y a un chapitre intitulé « Qui est le plus fort ? » Votre réponse : “les microbes et les virus….”

“En effet c’est une question qu’on me pose souvent, en s’attendant à ce que je sacre le requin, l’orque, ou l’homme. Je réponds alors en montrant une photo que j’ai prise, où l’on voit une orque mâle d’une envergure titanesque tenant dans sa gueule un jeune lion de mer. Tout semble montrer la supériorité de l’orque. Mais en observant de plus près, on remarque sur la mâchoire droite une énorme nécrose bactérienne…dont l’animal est mort quelques semaines plus tard. Prenons donc un peu de recul : la force musculaire n’a aucun sens. Évidemment, les maîtres du monde sont les microbes, les virus et les bactéries. Ce sont eux qui peuplent le monde. Ils se reproduisent très vite et ont une capacité d’adaptation phénoménale, quand ce n’est pas eux qui provoquent d’énormes changements et nous forcent à nous adapter  – comme on peut le voir aujourd’hui. Notre arrogance vient de notre foi en la médecine qui, croyons-nous, est la solution à tous nos problèmes. Elle a réalisé des exploits impressionnants depuis moins d’un siècle, c’est vrai. Mais un siècle est un fragment de seconde à l’échelle de la planète. La supériorité des virus et des microbes est incontestable à plus grande échelle.”

orque f SARANO

(c) F.SARANO

Le virus qui nous maintient à domicile depuis plusieurs semaines n’a pas les mêmes effets sur tous les êtres vivants. On parle beaucoup d’une renaissance de la faune et de la flore depuis qu’une bonne partie de l’humanité est confinée. Partagez-vous ce constat ?

“Nous ne pouvons tirer aucune conclusion. Cette vision des choses est de l’instantané. C’est une opinion toute faite pour ceux qui, soudainement, s’aperçoivent qu’il y a du vivant autour d’eux. Parce que quelques animaux s’aventurent là où ils n’avaient pas l’habitude d’aller, et parce qu’effectivement l’humanité a du temps pour observer son environnement. Mais la nature ne vit pas au rythme de BFM TV. Pour ce qui est de la vie sous-marine, on ne peut pas dire que le confinement ait une influence majeure. D’ailleurs je peux aussi vous dire qu’en ce moment même, il est probable que des braconniers s’en donnent à cœur joie.

Pourtant vous parlez souvent de la capacité de résilience insoupçonnée des océans.

“C’est vrai, mais cela ne veut rien dire si l’on ne mesure pas cette résilience en années. Il faut du temps long, plusieurs dizaines d’années, voire plusieurs générations pour que des réserves se reconstruisent. Le seul aspect positif de la situation actuelle est que cela permet de recréer un peu de lien à titre individuel. Du lien avec ses proches, et du lien avec la nature. Cela passe par des choses toutes simples, comme un mieux-être familial ou remettre ses pieds nus dans l’herbe humide. Il manque toutefois deux éléments essentiels : la longue durée et l’action politique collective. Sans ça, la logique de non-consommation ne durera pas.”

Difficile d’avoir cet accès à la nature, même individuel, lorsque l’on est confiné dans un immeuble.

“C’est vrai, mais le rôle des privilégiés qui peuvent le faire est justement de témoigner. Pour le reste, on est dans le domaine de l’action politique : il faut changer nos villes, mettre de la nature partout, et faire disparaître le béton. Parce que je vous l’assure, cette demande de nature est réelle. Elle hurle aujourd’hui. Il ne s’agit que d’y répondre.”

Quel rôle le monde de la plongée peut-il jouer dans cette réconciliation avec la vie sauvage : précurseur ou mauvais élève ?

“Avant tout, nous avons un rôle de témoignage. Nous voyons ce que 99% de la population ne voit pas. En fait, plus qu’un rôle, c’est un devoir. Nous devons alerter sur ce que nous voyons : les effets de la pollution, ou le drame du plastique. J’ai commencé à plonger en mer dans les années 70, à l’ouest de Marseille, dans un endroit qui s’appelle le Cap Couronne. Quand je relis mes carnets de plongée de cette époque, je note que la vie sous-marine était abondante. Nous voyions des langoustes, des homards, et même des petits requins. Aujourd’hui, c’est terminé à cause de notre inconscience et il faut le dire. Sans cesse, il faut alerter. Mais il nous faut aussi raconter les belles histoires et les progrès. Autrement, on tombe dans les travers de la collapsologie, qui est à mon sens contreproductive.”

Pourtant vous avez créé, avec votre association Longitude 181, une Charte Internationale du Plongeur Responsable. C’est bien qu’au-delà du témoignage, la plongée doit avoir un regard critique sur elle-même.

“Contrairement à ce que l’on croit, la plongée ne pollue pas tellement, mais nous avons en effet créé cette charte pour combattre de mauvaises pratiques, qui ont encore cours aujourd’hui. Par exemple, toucher et dégrader les fonds marins, ou encore ignorer les populations locales, les pêcheurs et les riverains auprès de qui nous avons beaucoup à apprendre.”

Propos recueillis par Simon Rossi.

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