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Une Tribune écrite à l’initiative de C’est Assez! et publiée sur le site du journal Le Monde le 28 décembre 2016. 

Cétacés en captivité : la souffrance derrière le spectacle

delphinarium

Le 22 décembre dernier, la mairie de Barcelone fait une annonce historique concernant la captivité des cétacés. Tout d’abord, le conseil municipal va fermer son delphinarium du parc de la Ciutadella d’ici à 2019. En outre, la ville a décidé que les quatre dauphins captifs seront libérés. Le lieu qui les abritera est encore l’objet de discussions au sein d’un groupe de travail ; ce pourrait être une baie marine dans les eaux grecques.

En France, en revanche, Aïcko, dauphin de 6 ans né au parc Astérix, n’aura pas eu cette chance. Il est mort au delphinarium Planète Sauvage le 6 novembre. Malheureusement, le décès d’Aïcko n’est qu’un décès parmi tant d’autres !

Une espérance de vie réduite 

En captivité, en effet, l’espérance de vie des dauphins, mammifères marins appartenant à l’ordre des cétacés, est réduite environ de moitié par rapport à la vie sauvage, malgré les soins quotidiens et l’absence de dangers inhérents au monde sauvage (collisions, filets, prédateurs, pollution, difficulté à se nourrir…). Le stress, l’ennui et l’absence de relations sociales complexes engendrent pertes d’appétit et de poids, ulcères, vulnérabilité aux maladies, profondes dépressions, comportements antisociaux et même suicides. De nombreux décès sont directement imputables aux conditions de vie en captivité : maladies pulmonaires dues au chlore, maladies rénales dues aux problèmes d’hydratation… En bassin, les animaux captifs développent des comportements stéréotypés. Ils montent et descendent comme des bouchons au Marineland d’Antibes, mâchent les barreaux et le béton de leurs bassins, vivent en léthargie… Toutes ces souffrances sont à l’origine de violences entre eux (traces de morsures récurrentes) et envers leurs soigneurs. Les témoignages d’anciens dresseurs comme John Hargrove (Marineland Antibes), dans son livre Beneath the Surface (2015), commencent à se multiplier et parviennent à la même conclusion : la captivité nuit gravement à la santé des cétacés. Enfermer des super prédateurs, tels que les orques, est une aberration. Ainsi, l’orque Tilikum, protagoniste du documentaire Blackfish de Gabriela Cowperthwaite, compte déjà trois « meurtres » à son actif. Le dernier remonte à 2010 où en plein spectacle, l’orque a noyé sa dresseuse consciemment. A l’état sauvage, au contraire, aucune attaque d’orque sur l’humain n’a été constatée.

Des mammifères remarquablement intelligents

Aux souffrances liées à la captivité s’ajoutent celles du dressage basé sur la privation alimentaire, la punition et l’isolement. Souvent un jeune dauphin est mis « en équipe » avec un adulte expérimenté. Si le jeune dauphin n’accomplit pas correctement un exercice, l’adulte sera également privé de récompense. La frustration pourra alors pousser l’adulte à punir à son tour le jeune.

Or, les connaissances scientifiques nous permettent aujourd’hui d’affirmer que les dauphins et les orques sont des êtres vivants conscients d’eux-mêmes et doués d’une intelligence remarquable. Lori Marino, neuroscientifique internationalement connue pour ses découvertes sur les dauphins, a étudié, durant 18 ans, le cerveau de cétacés échoués. Ses recherches ont démontré que le néocortex des animaux est extrêmement complexe. En 1998, elle a fait passer le test du miroir à deux dauphins de l’aquarium de New York (4). Alors qu’ils passaient devant leur reflet, les cétacés se sont observés et reconnus, comme le ferait un être humain. En 2013, l’Inde a par ailleurs accordé aux dauphins le statut de personnes non-humaines, interdisant ainsi toute capture et exploitation dans le pays.

Les cétacés vivent au sein de structures sociales et familiales très évoluées où les liens entre individus sont extrêmement forts. D’une part, il n’est pas rare de voir des groupes entiers de dauphins échoués. Si l’un des membres prend une mauvaise direction, le groupe restera tout de même incroyablement solidaire. D’autre part, ces liens s’expriment par des comportements d’entraide : les femelles qui viennent de mettre bas sont entourées de marraines qui aident à s’occuper du petit. Chez les orques, un mâle reste toute sa vie auprès de sa mère. Il ne la quittera que brièvement pour se sociabiliser et se reproduire.

Dans les océans, les dauphins et les orques peuvent parcourir jusqu’à cent kilomètres par jour et plonger jusqu’à plusieurs centaines de mètres de profondeur. À l’état sauvage, les dauphins vivent entre 40 et 60 ans ; entre 40 et 90 ans pour les orques.

La France en retard sur d’autres pays de l’UE

En outre, la captivité est directement liée aux massacres de la baie de Taiji au Japon. Mis en lumière par le film The Cove (Oscar 2010 du meilleur film documentaire), on apprend que les plus beaux « spécimens » capturés dans des conditions atroces approvisionnent les delphinariums du monde entier. Un dauphin de spectacle peut être revendu 200 000 dollars !

À l’heure où les consciences s’éveillent sur la souffrance que vivent ces cétacés captifs, nous ne devons plus mentir à nos enfants en leur faisant croire que les dauphins, parce qu’ils ont toujours l’air de sourire, sont heureux de faire les clowns, la faim au ventre. De plus, ces spectacles ne peuvent rien apprendre de pertinent sur la véritable vie des cétacés, et encore moins prétendre participer à la conservation des espèces. Observer les dauphins nager à l’étrave d’un bateau est une merveilleuse leçon de vie ! Des dauphins libres, on peut en observer sur l’ensemble du littoral français.

Douze pays de l’Union Européenne n’ont pas ou plus de delphinariums à l’image de Chypre, de la Hongrie ou du Royaume-Uni qui ont légiféré en ce sens. En France, les dauphins sont encore détenus au parc Astérix (Oise), à Planète Sauvage (Loire-Atlantique), au Moorea Dolphin Center (Polynésie française) et au Marineland Antibes (Alpes-Maritimes), seul parc à détenir aussi des orques. Il est donc grand temps de fermer ces delphinariums et de permettre la réhabilitation des cétacés captifs dans des sanctuaires marins adaptés. Qu’attendons-nous ?

Signataires: 

Georges Chapouthier, neurobiologiste et philosophe; Boris Cyrulnik, éthologue neurologue et psychiatre ; Yves Paccalet, philosophe et ancien collaborateur du commandant Cousteau ; Corine Pelluchon, philosophe ; Matthieu Ricard, biologiste et fondateur de Karuna-Shechen ; François Sarano, océanographe.

 

 

 

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