Dans le cadre du programme « Requin Blanc de Méditerranée », Longitude 181 a cherché à faire le point sur le cadre réglementaire actuel. Le but était de dresser un bilan des mesures qui protègent les requins en Méditerranée, en particulier les 20 espèces de requins classées « menacées » par l’IUCN*.

L’exercice est difficile, tant les réglementations sont complexes ! Mais, au final, il révèle le peu de vraies mesures de protection. Voici les principaux éléments, et tout d’abord quelques chiffres sur l’état des requins :

1 – Quelle est la situation des requins en Méditerranée ?

Les dernières évaluations de l’IUCN* pour les requins (2011) :

Elles concernent 43 des 45 espèces de requins recensées en Méditerranée. Sur ces 43 espèces :

mako italie pechesportive

  • 7 espèces sont classées : « En danger critique d’extinction »
  • 5 espèces             ‘              « En danger d’extinction »
  • 8 espèces             ‘              « Vulnérable »
    –> donc 47 % des espèces évaluées sont menacées ( soit 20 espèces)

D’autre part :

  • 1 espèce est classée   « Quasiment menacée »
  • 17 espèces        ”          « Données insuffisantes »
    –> donc 42 % des espèces sont classées en « données insuffisantes » (soit 17 espèces), ce qui veut dire que l’on ne possède pas assez d’éléments scientifiques pour évaluer avec précision leur statut, mais l’IUCN estime que tout porte à penser qu’elles sont déjà largement menacées.–> Enfin, seules 5 espèces (12 %) sont en « Préoccupation mineure » !!…

Les requins sont de loin les poissons les plus menacés en Méditerranée 

Sur les 519 espèces de poissons évaluées par l’IUCN* :

  • 14 des 43 espèces de requins sont « En danger critique », soit 16% des requins,
  • 7 des 476 espèces d’autres poissons sont « En danger critique », soit 1% des autres poissons seulement.

La situation est catastrophique pour les grands requins pélagiques (rapport CIESM 2013)

Sur les 2 derniers siècles, la quantité de requins débarqués pour les 4 espèces de requins pélagiques les plus importantes a chuté de :

  • 97% pour les requins bleus
  • 99% pour les makos, requins marteaux et requins renards.

Or, la pression de pêche en haute mer a fortement augmenté pendant la même période. Si les débarquements chutent, alors que l’on pêche de façon bien plus intense, c’est parce que les populations se sont effondrées !

Conclusion du dernier rapport de l’IUCN* : la Méditerranée est l’une des mers les plus dangereuses pour les requins, à la fois parce que c’est là qu’ils sont le plus sérieusement menacés, et parce que leur déclin est plus rapide en Méditerranée que partout ailleurs dans le monde

*IUCN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature

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2 – Quelles sont les menaces ?

 La pêche = menace N° 1

Les évaluations (Cavanagh et Gibson 2007 : Statut de conservation des poissons cartilagineux de Méditerranée, IUCN) sont claires. Elles montrent que :prises poissons cartilagineux par engin med

  • Toutes les espèces de requins sont victimes de la pêche, aucune n’échappe aux différents engins utilisés : bien que les requins ne soient en général pas recherchés par ces engins (= pêche ciblée), ils sont pris de façon accidentelle.
  • Ces prises accidentelles (bycatch) sont la première cause de mortalité pour tous les requins de Méditerranée (fig 3.4)
  • Les chaluts (trawls) et les filets (nets) constituent de loin la principale menace : ils capturent toutes les espèces de requins. Viennent ensuite les palangres (Longlines) (67% des espèces de requins et raies) (fig 3 .5)

Ces engins pêchent dans tous les milieux (en surface, au fond, près des côtes, au large) et de manière intensive. Selon le mode de vie des espèces (en pleine eau, en surface ou au fond de la mer, près des côtes ou au large), selon le stade de vie (juvénile ou adulte), un engin sera plus impactant qu’un autre. Mais tous les requins sont impactés/menacés de façon majeure. Et ce d’autant plus qu’ils ont un cycle de reproduction très lent : ils se reproduisent tardivement et ont peu de petits par portée.

Plus de 100 000 requins sont pris accidentellement par an en Méditerranée (Bradaï 2012)

L’IUCN demande expressément que les mesures prises pour une gestion durable des pêches soient effectivement mises en place et contrôlées : pas de pêche au delà de 1000 m de profondeur, pas de chalutage à moins de 3 milles des côtes, limitation de la taille des chaluts, interdiction des filets dérivants, etc…

Quelques exemples :

image1- Chalut : Dans le golfe de Gabes en Tunisie, les 3/4 des Mustelus mustelus (classé « En danger d’extinction » par l’IUCN) qui sont capturés par les chaluts sont des juvéniles ! (Saïdi 2008). De même, 30% des requins blancs et 80 % des grisets capturés au chalut sont aussi des juvéniles (Saïdi et al 2007).

2 – Longline : Sur l’ensemble de la Méditerranée, 17% (en poids) des poissons capturés par les longlines à thons et espadons sont des requins. Ils atteignent 34% dans la mer d’Alboran… (Megalofonou et al 2005).

3 – Filet dérivant : Une étude de la pêche à l’espadon, qui utilise des filets dérivants (souvent supérieurs à la taille autorisée), estime que, sur l’année 2003, on a capturé de 62.000 à 92.000 requins, rien que dans le détroit de Gibraltar ! Ils appartiennent à 3 espèces (pêchées en quantité équivalentes) : requins bleus (Prionace glauca), makos (Isurus oxyrinchus) et requin renard communs (Alopias vulpinus). 11.000 à 15.000 dauphins ont aussi été pris par ces filets cette année-là (Tudeli et al 2005).

De manière générale, on estime que 85 % des animaux capturés par les filets dérivants sont rejeté… (IUCN 2011). Bien qu’interdit en Méditerranée depuis 2002 (pour la pêche des thonidés, espadon, requins et autres « espèces sensibles »), le filet dérivant est encore utilisé par certaines flottes car autorisé avec une longueur de moins 2,5 km pour certaines espèces.

4 – Destruction des jeunes : Sur l’ensemble de la Méditerranée, 70 % des requins (requin bleu et mako essentiellement) capturés par les pêcheries de thons et espadons en 1998-2000 étaient des immatures ! Pire, les makos étaient immatures à 98% ! (Megalofonou et al 2005).
Clairement, on détruit les futurs reproducteurs et donc toute possibilité de survie de la population, d’autant plus que les requins ont un cycle reproducteur lent qui les rend très vulnérables à toute pêche intensive

Autres menaces :

L’aménagement des côtes, la pêche sportive et la pollution. Elles sont plus ou moins importantes selon le mode de vie des requins (fig 3.4)

menaces majeures pour poissons cartilagineux medPêche récréative :
elle s’est considérablement développée ces dernières décennies. En recherchant les « trophées », c’est-à-dire les plus grands requins, elle a contribué à éliminer les grands reproducteurs (souvent des femelles adultes). Elle peut même épuiser les stocks, en particulier quand elle se produit dans les nurseries. Elle utilise des moyens de plus en plus performants alors qu’elle est très peu règlementée, contrairement à la pêche professionnelle. De plus, elle est accessible au grand public qui ignore tout de la situation critique des requins.

Ex : dans le Parc Naturel du golfe du Lion, on compterait environ 650 bateaux appartenant à des clubs de pêche auxquels s’ajoutent, en été, des milliers de pêcheurs de loisir…

Il n’existe aucune mesure/interdit pour les requins, uniquement des Lignes directrices pour la pêche récréative. Ce sont de simples conseils, qui « encouragent les pêcheurs à remettre à l’eau leurs prises de requins et de raies et à améliorer la survie de ces derniers en adoptant des techniques de manipulation pour atténuer la mortalité après leur remise à l’eau »…

L’impact de la pêche récréative est maintenant important compte tenu de son fort développement et de la faiblesse des populations résiduelles de requins

Pollution :
de nombreuses études montrent que les requins contiennent de nombreux polluants et autres pesticides. Comme tous les grands prédateurs situés en bout de chaîne alimentaire, ils les concentrent. On relève ainsi des taux de mercure supérieurs à ceux admis pour la consommation humaine, ainsi que des traces de métaux lourds et de résidus organochlorés dans le foie, les œufs, les reins et les muscles.

 

3 – Quelle est le cadre réglementaire actuel ?

Ce cadre réglementaire est extrêmement complexe car :

  • Il est composé d’un ensemble de textes de différentes renardorigines et différentes formes recommandations internationales (convention de Barcelone, Berne, Bonn, CITES), résolutions ou recommandations des organisations régionales de pêche (ICCAT, CGPM), qui ne sont efficaces que si elles sont intégrées dans la législation des pays pêcheurs (= pays méditerranéens + Japon), et une réglementation européenne qui a une valeur juridique contraignante.
  • De plus, les mesures peuvent concerner des espaces maritimes différents (eaux européennes ou eaux méditerranéennes) ou un ensemble de pays différent (tous les pays méditerranéens ou tous les pays européens) ;
  • Par ailleurs, ces mesures peuvent porter sur des objets distincts (transport, vente, pêche, …), elles peuvent aussi interdire la vente mais pas la pêche des requins…
  • De même, certaines règles peuvent avoir une portée limitée dans le temps (1 an seulement)
  • Enfin, certaines mesures portent sur les espèces de requins, d’autres sur les engins de pêche (filet maillant dérivant par exemple), d’autres sur les profondeurs interdites à la pêche.

Ces mesures se superposent et parfois se croisent pour constituer un cadre réglementaire complexe, incomplet et assez illisible.

Il en ressort tout de même que :

  • Seules 10 des 20 espèces de requins menacées bénéficient de mesures de protection, et encore celles-ci ne s’appliquent pas partout en Méditerranée, ni à tous les pays, ni pour tous les engins de pêche !
  • Ce ne sont pas les espèces les plus menacées (au sens de l’IUCN) qui bénéficient de mesures de protection : 5 espèces classées “En danger Critique” et 4 espèces classées “En Danger” n’ont aucune protection.

En résumé, il semble que :

Les pays du sud = Algérie + Maroc + Tunisie + Libye + Égypte:

  • ne peuvent pas pêcher : taupe, mako, marteau commun et requin hâ dans toute la Méditerranée,
  • ne peuvent pas pêcher : ange commun, requin blanc, pèlerin, (+mobula) dans les eaux européennes.

Les pays européens + Japon :carte eaux europeennes

  • ne peuvent pas pêcher : taupe, mako, hâ, marteau commun, ange commun, blanc, pèlerin, dans toute la Méditerranée,
  • ont un TAC = 0 (pas de captures autorisées) en 2016 pour squale chagrin et griset, dans leurs eaux
  • ne peuvent pas pêcher : raie mobula, dans leurs eaux.

En Israël, tous les requins sont protégés.

Carte des eaux européennes
en bleu ciel :
les eaux européennes = les 3/4 de la Méditerranée

en rouge : les pays demandant leur rattachement à l’Europe : Albanie, Turquie

Il est donc extrêmement difficile de faire la synthèse de toutes ces mesures au niveau méditerranéen. Tout contribue à ce que l’on s’y perde ! A tel point que la Direction des pêches française, elle même, est obligée de rassembler chaque année les mesures en vigueur à l’attention de ses services…

Que dire des pêcheurs qui sont censés les appliquer ! Comment peuvent-ils être informés tout autour de la Méditerranée ? Comment les autorités peuvent-elles faire appliquer ces mesures dans les pays qui sont moins regardants, ceux qui ont peu de contrôleurs des pêches?

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4 – Quels sont les freins ?

– La lenteur des processus de réglementation internationale est sans commune mesure avec la rapidité du déclin des requins.

– Les conventions internationales formulent pour une large part des recommandations qui n’ont donc pas de valeur juridique contraignante. Ce ne sont pas des interdictions. Les pays ne sont pas obligés de les appliquer. Celles-ci ne seront appliquées que si les pays se dotent des instruments juridiques appropriés. Exemple, une résolution de l’ICCAT : Les Etats « devraient vigoureusement s’efforcer de s’assurer que les navires battant leur pavillon n’entreprennent pas de pêcherie dirigée sur les espèces de renards de mer du genre Alopias spp. »

– Certaines subtilités des textes. Ainsi, comme le note la FAO dans son dernier rapport sur les pêches 2014 : les mesures sur les requins adoptées par les organismes de gestion du thon (ICCAT pour la Méditerranée) sont contraignantes dans les zones de compétences de ces derniers pour tous les États membres qui ne s’y sont pas opposés. ( !!)

Les études manquent et donc les données pour un certain nombre d’espèces, mais les présomptions et l’accumulation des observations ne laissent aucun doute sur leur besoin de protection : les organismes de pêche et les Etats profitent de ces lacunes pour réfuter les mesures de protection demandées.

Les freins mis par les organisations internationales de pêche qui protègent les lobbies de la grande pêche (notamment au thon et espadon).

Ex : en 2013, l’ICCAT a rejeté pour la 5e année les demandes des ONG pour :
– limiter les captures de mako et requin bleu (principales espèces accessoires),
– et un durcissement de l’interdiction du finning,
Et ce, malgré une forte recommandation des scientifiques. Aucune négociation n’a été entamée, l’ICCAT a ignoré les recommandations des scientifiques, arguant que les avis étaient multiples et ne dégageaient pas de consensus, selon son chairman.

Les seules interdictions de l’ICCAT pour les requins : la pêche ciblée de toutes les espèces de requins-renards, genre Alopias, et la conservation à bord de toutes les espèces de requins marteaux, genre Sphyrna (à l’exception de pêches côtières destinées à la consommation domestique dans les pays en développement) ! C’est-à-dire quasiment aucune interdiction.

– Enfin, le manque d’information à tous les niveaux, surtout pour la pêche artisanale, sur la situation globalement critique des requins en Méditerranée.

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5 – Conclusion

Pour pallier ce manque manifeste d’information, Longitude 181 a créé la collection :
« Les requins de Méditerranée à Protéger »

  • La collection comprend un poster qui rassemble les 20 espèces de requins menacées en Méditerranée et des fiches d’identification pour reconnaître facilement ces requins.
  • Au vu des récentes captures de Grand requin blanc, requin mako, requin renard, cette collection s’avère être un outil indispensable qu’il faut diffuser le plus largement possible.
  • Il s’agit d’informer grand public, pêche de loisir et pêche artisanale, pour leur faire comprendre et adopter les bonnes pratiques d’une pêche durable.

Les posters sont disponibles en plusieurs langues et téléchargeables ci-dessous :

RequinMed PosterRequins A FR BD web

Poster en Français  –  Poster en AnglaisPoster en Espagnol

Poster bilingue Arabe/françaisPoster bilingue Arabe/anglais

Les fiches de reconnaissance des requins de Méditerranée sont à commander ici

GRBM reconnaitre

fiches requins longitude

 

 

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